La problématique du crédit en Haïti

La situation de l’accès au crédit en Haïti est très problématique. Une étude approfondie de ce problème doit tenir compte de quatre aspects différents, à savoir l’insuffisance, le coût, l’exclusivité et la qualité. Cette classification découle d’un précédent travail de l’économiste Etzer Émile.
Si l’on s’en tient à la réalité actuelle, une étude de la BRH dénote un repli de 10% du portefeuille de crédit en 2023 et aussi une réduction significative du nombre de comptes de prêts sur les trois dernières années. Cependant, on aurait tort d’imputer ce rationnement du crédit à la seule faiblesse de disponibilités bancaires. À ce propos, l’économiste Etzer Émile a donc identifié les principales raisons de cette faiblesse.
La faiblesse du crédit octroyé par les banques haïtiennes, selon lui, est attribuable à la faible disponibilité de l’épargne dans le système bancaire, au faible pourcentage de l’argent en dépôt utilisé pour donner du crédit, à la formation ou la composition du dépôt bancaire, et enfin au fait que les banques commerciales s’intéressent à d’autres produits financiers plus bénéfiques que le crédit, tels que les bons BRH, les bons du Trésor, l’achat et la vente des devises (le dollar particulièrement).
Le deuxième aspect du faible accès au crédit en Haïti concerne le coût du crédit. En effet, pour se protéger, les institutions bancaires notamment ont tendance à imposer des conditions draconiennes aux demandeurs du crédit. Les banques sont certes protégées, mais l’activité de crédit se retrouve fortement entravée. Or, un produit rare est généralement coûteux.
En Haïti, si le crédit est rare, il n’est pas rare pour tout le monde. Comme peut en témoigner le troisième aspect du problème traitant de l’exclusivité. En effet, le processus d’octroi du crédit, tel qu’il est pratiqué depuis toujours en Haïti, se révèle fortement discriminatoire dans le sens qu’il n’est pas ouvert à tout le monde. En d’autres termes, une minorité de personnes est privilégiée au dépend d’une certaine majorité sur la base de l’apparenté, selon l’économiste Émile. Au 30 septembre 2005, environ 10 % des emprunteurs du système bancaire haïtien ont bénéficié approximativement de 80 % du portefeuille de crédit total, selon la BRH. Deux décennies plus tard, cette expression de la concentration de l’offre des services financiers, notamment les prêts bancaires, n’a pas totalement disparue.
Enfin, le dernier aspect dans le problème du crédit concerne sa qualité. Il ne suffit donc pas d’accorder des prêts à des clients, mais les prêts doivent être de qualité. La qualité du crédit renvoie notamment à sa productivité.
Tous ces obstacles empêchent non seulement le crédit au secteur privé d’évoluer normalement, mais aussi d’avoir des incidences positives sur la création de richesse et de l’emploi.
En d’autres termes, la distribution du crédit historiquement n’a jamais profité à l’économie nationale ni participé à la création de richesses au profit de la majorité. Ailleurs qu’en Haïti, la pratique du crédit sous toutes ses formes est devenue un ressort incontournable de la vie socio-économique.
En continuant d’accorder le crédit avec autant de parcimonie, les institutions bancaires et financières du pays se mettent à dos l’agenda 2030 et le cycle des objectifs de développement durable (ODD) qui prône notamment l’éradication de la faim et de la pauvreté dans le monde. L’instabilité politique chronique et les incertitudes de la conjoncture économique semblent être des alliés de poids des banquiers et justifient leur attitude de prudence vis-à-vis de l’octroi du crédit. Un de ces jours, il va falloir inversée cette tendance.