L’appréciation de la gourde permet-elle d’améliorer le pouvoir d’achat des Haïtiens ?

Depuis tantôt un mois l’appréciation de la monnaie locale fait bonne presse, cependant les avis se divergent quant à la question de trouver et d’identifier les mécanismes qui ont contribué à cette appréciation brusque et spectaculaire du taux de change en Haïti. S’il est vrai que les opinions diffèrent entre les spécialistes de l’économie et de la politique, les non-initiés pour leur part voient cette appréciation comme une action politique. En l’espace de 60 ans la monnaie nationale a connu une très forte augmentation. Pour l’ensemble de la période 1960-2020, on enregistre une moyenne annuelle de 19,67%. Le changement enregistré entre la première et la dernière année est de 1676 %. C’est en 2019 qu’on enregistre la valeur la plus élevée (88,81%) et c’est en 1983 qu’on enregistre la valeur la plus basse.
Depuis l’adoption du système de change flottant dans les années 1990 et 1991, la monnaie nationale a connu une dépréciation accélérée face au dollar américain.
En effet, le taux de change est passé de 7.5250 en Avril 1991 à 47.3801 en Avril 2015, soit un taux de dépréciation de plus de 430% en rythme annuel, par rapport au dollar sur une période 24 années. Aujourd’hui la gourde connaît une appréciation de plus de 50%, s’agit-il d’un effet papillon ou du moins un effet éclair ? Notre objectif dans ces lignes, au-delà des intérêts et des débats que cela suscite dans le monde des affaires, est d’analyser ces effets sur le panier de la ménagère dans une approche théorique et empirique afin d’alimenter les réflexions.
En dépit du flottement des grandes monnaies du monde, la question de l’opportunité d’une dépréciation reste d’actualité pour de nombreuses économies, notamment dans les pays où les taux de change fluctuent, et où on observe parfois des mécanismes d’ajustement structurel dont l’objectif est de bénéficier de programmes de relance ou d’appui budgétaire. La mise en place des attributs d’une émergence économique en Haïti, requiert de la volonté politique, mais également un pacte économique assorti d’une croissance économique durable, ce qui renvoie à un ensemble de questions touchant en particulier la politique de change, la politique budgétaire, et l‘investissement en Haïti. Les réformes des éléments précités doivent induire des évolutions positives en passant d’un système de change flottant à un système de change fixe en mettant en place des mécanismes pour une économie forte, solide et source de compétitivité.
La fin des années 1990 a été accompagnée par une libéralisation avancée visant à conférer à la politique de change un rôle plus actif. A partir des années 2000, une politique de prudence en matière de change est devenue la préoccupation des autorités monétaires dans un contexte national difficile et d’instabilité politique accrue de plus en plus inquiétant. L’objectif de toute politique devrait être la recherche de la compétitivité de l’économie et la stabilisation du taux de change dans un contexte marqué par la mondialisation et la globalisation financière entre les États. Pour cela, les autorités monétaires doivent renforcer la gourde comme ce fut le cas dans les années 1919 avec un dollar pour 5 gourdes. Dans le contexte actuel, les citoyens comme les politiques n’arrivent pas à comprendre comment la gourde s’est appréciée en deux mois environ. Deux grandes questions se posent. Est-ce qu’une telle appréciation a été faite autour d’une trajectoire d’équilibre selon la théorie classique de la balance des paiements ? Quels sont les déterminants fondamentaux du taux de change réel d’équilibre en Haïti ?
Cet article se propose d’étudier la dynamique à long terme du taux de change réel en fonction de ses principales variables explicatives dans le but de détonner de l’efficacité de la politique de change en Haïti. En fait, ce sujet regagne de l’importance à cette heure. Alors que la République d’Haïti espère rebondir économiquement et améliorer le pouvoir d’achat, il est enthousiasmant et utile d’analyser l’évolution n et les déterminants structurels de son taux de change réel, en s’appuyant sur la théorie de la parité du pouvoir d’achat. Avant d’aller plus loin dans cette réflexion, il convient d’apporter une clarification conceptuelle du taux de change.
La littérature économique définit le taux de change comme la valeur d’une monnaie par rapport à une autre monnaie. Il s’agit du taux de conversion d’une monnaie dans une autre monnaie, on parle de parité d’une monnaie. Au regard de la clarification conceptuelle, l’objectif de l’appréciation de la monnaie devrait permettre d’améliorer la compétitivité globale de l’économie et le pouvoir d’achat des consommateurs. La stabilisation de la monnaie nationale est souvent considérée comme un indicateur et une variable clé de la compétitivité des économies et une condition essentielle de leur enchâssement réussi dans la sphère économique internationale dans un contexte de globalisation financière corollaire de l’hyper concurrence. Défini comme le prix relatif mesurant la valeur relative de paniers de biens nationaux et internationaux, le niveau et la stabilité du taux de change réel d’équilibre sont des éléments cruciaux dans le processus de raccord du cadre macroéconomique et par voie de conséquence dans la performance économique en général. En effet, la sous-évaluation du taux de change désaligne les mécanismes de la compétitivité prix de l’économie en attendant la relance globale de l’économie par les dépenses publiques dans les grands travaux d’infrastructures en vue d’améliorer l’innovation, ce qui permettra de renouer avec la compétitivité hors prix et de compenser la compétitivité prix. On distingue en général deux cas. Lorsque la monnaie nationale est surévaluée, le pays risque d’avoir un déficit insoutenable de son compte courant, une augmentation de sa dette extérieure et une exposition possible aux attaques spéculatives. Au contraire, un taux de change réel compétitif est un bon signe pour l’économie puisqu’il permet d’influencer l’allocation intertemporelle et les facteurs de production à moyen et long terme, ce qui explique que les investisseurs et les compagnies du secteur textile n’ont pas besoin de s’alarmer suite à une appréciation de la monnaie locale, puisque à court et à long terme la stabilisation du taux de change permettra un rattrapage économique afin d’améliorer les décisions d’investissements et d’épargne. Dans ce contexte, l’analyse du comportement du taux de change réel a fait l’objet de nombreuses études dont on peut citer à titre d’exemple celles, Macdonald et Wójcik (2004)). En fait à partir des années 2004, les économistes se sont mis d’accord sur le principe de l’alignement correct du taux de change réel et sa stabilité en tant que l’un des facteurs déterminants dans le processus de développement des économies. Pour Williamson 1996, aucun processus économique ne saurait être durable si on n’arrive pas à stabiliser le taux de change. Ce constat reprend de l’importance chaque fois que l’on parle des préalables de la relance économique. Il s’impose aussi en tant que nécessité irrévocable et comme fondamentaux pour les économies en voie de développement entamant leur processus d’émergence comme Haïti et d’autres pays africains, afin d’évaluer le niveau d’équilibre de leur change et éviter les déviations et les biais de compétitivité. En analysant l’appréciation de la monnaie locale et les déterminants du taux de change réel, certaines théories économiques, qui insistent sur les conditions d’arbitrage entre le court-terme et la convergence économique, comme le souligne Rogoff (1983), me viennent à l’esprit. D’autres études et réflexions portant sur les relations d’équilibre de long terme ont abouti à un consensus sur le fait qu’à moyen et à long terme le taux de change réel peut être, en grande partie, expliqué par des fondamentaux de l’économie.
L’appréciation de la trajectoire du taux de change en moins de deux mois peut être analysée selon deux approches distinctes. Une approche dite fondamentale attribuée à Williamson (1983, 1994) met l’accent sur la politique économique et les fondamentaux de l’économie. La deuxième approche, dite comportementale a été développée en particulier par Clark et MacDonald (1998). Cette approche veut expliquer de façon empirique l’évolution de long terme du taux de change d’équilibre et ne s’attache pas à trouver les fondements théoriques. Son application s’inscrit dans une optique purement pratique et exploratoire ce qui nous permettra d’analyser le taux de change en nous basant sur les observations. C’est pour cette raison, qu’il est intéressant de l’appliquer au cas de la République d’Haïti étant donné que notre objectif principal est de relever les fondamentaux macroéconomiques susceptibles de générer la trajectoire du taux de change réel à long terme et sa stabilisation.
Dans cette partie, nous exposons l’approche que nous avons empruntée pour essayer de déterminer l’impact de l’appréciation de la monnaie sur le pouvoir d’achat des consommateurs et estimer le taux de change réel d’équilibre. A cet effet deux approches nous permettent d’apprécier le taux de change. La première est dite de la parité des pouvoirs d’achat, elle dépend du taux de change des prix relatifs des biens et services entre pays, dans ce cas de figure nous allons faire l’analyse en nous référant à la République Dominicaine et les USA. Cette approche est formalisée par Cassel dans les années 1910, la PPA va ensuite trouver toute sa performance avec Navarro puis avec Davide Ricardo et Hume. En se basant sur cette théorie, la PPA s’explique par le pouvoir d’achat d’une unité de monnaie nationale, c’est-à-dire la quantité d’un bien et service qu’elle permet d’acquérir est identique sur le marché domestique et à l’étranger. Sachant que le pouvoir d’achat d’une unité monétaire est égal à l’inverse du niveau général des prix dans le pays domestique (Haïti), on en déduit de toute évidence que le taux de change est celui qui égalise le niveau général de prix. Par exemple, un réfrigérateur qui vaut 21 000 gourdes en Haïti et 20 000 pesos en RD le taux de change de PPA de la gourde vis à-vis du peso (cotation à l’incertain de la gourde) sera donc de 1 HT=21 000/20 000=1.05. La parité du pouvoir d’achat équivaut à un taux de change réel égal à une gourde zéro cinq pour un peso. Dans la forme la plus probante, la PPA en version relative stipule que le taux de variation du taux de change entre deux pays doit compenser le différentiel d’inflation entre ces deux pays. Dans le cas de l’exemple pris précédemment, si le taux d’inflation de la Républicaine Dominicaine est de 4.8% selon les données publiées par la Banque centrale Dominicaine en Aout 2020 et de 25% en Haïti, la gourde doit s’apprécier de 20.2%, c’est-à-dire le taux de change réel ne doit pas varier, un consommateur aura besoin de plus d’argent pour se procurer des biens et services, il aura intérêt à se procurer des biens et services sur le marchés Dominicains pour respecter la parité du pouvoir d’achat, car le taux de change réel ne doit pas varier sur le marché des changes.
En se référant à la théorie de la parité du pouvoir d’achat, on a constaté qu’il y avait pendant ces derniers mois, un certain déséquilibre sur le marché des changes qui n’avait pas pour cause les fondamentaux de l’économie, mais la bulle spéculative. Cette appréciation que nous avons connue est liée à des éléments fondamentaux tels que :
Les sanctions de la BRH concernant certaines banques
La persuasion morale
Le non financement par l’accumulation des arriérés
Au regard de tout ce que nous avons avancé, il est important de rappeler que la parité du pouvoir d’achat est une relation d’équilibre, qui met en présence la double relation causale entre prix des biens et services, et taux de change – car les prix agissent sur le taux de change- tout en tenant compte des effets de variation du taux de change sur les prix donc une relation de bivalence (effet inflationniste de la dépréciation). Selon l’approche de Balassa-Samuelson le taux de change réel n’est pas constant sur le long terme, il se pourrait que des facteurs exogènes puissent amener à une appréciation de la monnaie étrangère, car il existe une certaine distorsion dans la PPA et les gains de productivité, dans un pays en voie de rattrapage comme Haïti, la relance de la demande globale à travers des dépenses publiques permettra d’investir dans des secteurs porteurs des biens échangeables et non croissance et danséchangeables. Dès lors le rééquilibre de la balance des paiements implique une modification de la structure interne des prix au bénéfice des activités de production de biens et de services qui font l’objet du commerce international, appelés « biens internationaux », dont le prix relatif doit s’accroître, au détriment des activités de production de biens et services ne faisant pas l’objet du commerce international, dits « biens domestiques », dont le prix relatif doit diminuer. (Nous publions le reste du texte au prochain numéro).
DevHaiti