Économie

Le billet vert de plus en plus rare dans les banques

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Depuis plusieurs mois, les banques commerciales haïtiennes font face à une pénurie criante de billet vert, créant une situation de panique dans une économie en récession depuis au moins cinq ans. Les explications des autorités publiques et privées ne parviennent pas à convaincre les clients.es de ces banques réclamant à tout prix leurs dollars en liquide.

Reportage

Il est 9 h. Déjà le soleil tape fort sur cette longue rue, grouillante de monde. Un soleil de plomb traînant derrière une chaleur suffocante. On est à Lalue, non loin des locaux de l’Émigration et de l’immigration. C’est déjà l’heure de l’ouverture des bureaux. Devant la succursale de cette banque commerciale de la place, une longue file d’attente est remarquée, comme à l’accoutumée. Des clients commencent à pénétrer l’enceinte de la succursale. Jusqu’ici, tout semble bien aller. Sans crier gare, la tension est montée d’un cran. Plus d’une dizaine de clients remontés contre l’annonce d’une employée de cette banque commerciale, les communiquant la redoutable nouvelle: «Il n’y a pas de dollars, et un problème de réseaux persiste ».

Une nouvelle amplement suffisante à provoquer une colère générale au sein de la clientèle, à renverser le baril de poudre sommeillant. Plusieurs jeunes hommes trentenaires sont chauffés à blanc tandis que d’autres, surtout des femmes — jeunes et vieux

— vident les lieux. «Qu’est-ce que je fais manger aujourd’hui ? Donnez-moi mon argent. Ça, c’est une autre forme de kidnapping», a martelé l’un d’entre eux, sur fond de discussions intenses. Entre-temps, le va-et-vient des clients se poursuivent, entre arrivées et départs.

«J’ai des médicaments à acheter. Cela fait trois semaines que je fais des va-et-vient pour pouvoir retirer mon argent. Ma mère est malade. Ce sont des amis qui m’ont prêté de l’argent pour pouvoir acheter des médicaments», renchérit un autre portant un t-shirt de couleur noire menaçant de bruler des pneus devant les locaux de la banque. «J’ai besoin de mon argent pour rentrer chez moi. J’ai besoin de mon argent pour aller manger…», invective un troisième.

Dans ce long fil, comme dans de nombreux autres remarqués devant d’autres banques commerciales de la place, l’écrasante majorité des clients viennent retirer des dollars américains. Les tentatives d’explications des responsables ne suffisent pas pour calmer les gens. Les heures s’égrènent. Lentement et sûrement, l’entrée se vide…

Dans la porte vitrée donnant accès à la succursale en question, un avis, destiné à la clientèle, est placardé.

« En raison de la rareté de numéraires à laquelle fait face le système bancaire haïtien, la banque informe sa clientèle que les transactions impliquant des sorties de fonds en cash en dollars américains ne pourront pas être satisfaites de manière régulière », peut-on lire. À la note de poursuivre: «Toutefois, les autres transactions de virement, transfert ou achat de chèques de direction en dollars américains peuvent être effectuées normalement».

Ouverture tardive suivie de fermeture plus tôt, problème de signal pour effectuer des retraits, non-disponibilité de fiches de retrait, retard du convoi portant des dollars à la banque — sont autant de prétextes utilisés par les banques pour ne pas fournir le dollar vert, selon des observateurs. Certaines banques n’en donnent pas. D’autres gratifient le client d’un billet de 50. D’autres, de 100. Ça ne va pas au-delà de 200 dollars américains. Pour espérer un billet de 100 de plus, des ententes avec les caissiers s’imposeraient.

Depuis ces cinq dernières années, cette rareté du dollar surgissait surtout en fin d’année. Depuis quelque temps, les gens abandonnent de plus en plus les maisons de transfert pour les banques, afin de s’offrir le dollar vert dans une économie quasi-totalement dollarisée. L’écrasante majorité des gens se rendant dans les banques partent à la quête du dollar, révèlent nos constats.

Pour faire face à une telle situation, des clients utilisent les stratégies fortes. Des femmes se déshabillent dans les banques. Des hommes ont emboîté le pas. Une action précédée toujours de fortes altercations, d’injures incessantes de clients.es réclamant leur agent déposé sur leur compte. Les clients accusent les banques de refuser de leur accorder des billets verts dans un souci de priver l’accès aux défavorisés et aux moins lotis.

Dans les lignes, le refus des banques de donner du cash en dollar, au cœur des discussions, il faut souligner également les passe-droits des préposés à la sécurité qui laissent entrer des «VIP» au détriment de ceux qui ont fait la queue depuis des heures.

«Ceux qui ont fait la queue sont des bons à rien?», tempête un Monsieur très remonté contre une dame qui, à peine arrivée, veut sauter la ligne.

Les institutions bancaires confirment et proposent des alternatives encourageant les clients à faire des transactions n’exigeant pas de cash. Les résultats de cette campagne se font encore attendre. Faute d’éducation financière, ces pratiques préconisées ont du mal à «atterrir».

Et entre-temps, la gourde reprend timidement de la valeur, même si les prix des produits de première nécessité restent intacts, sur fond de diminution accélérée du pouvoir d’achat de la population.

DevHaiti