Le Grand Sud d’Haïti : un important terrain d’opportunités économiques et écologiques

Du 23 au 25 novembre 2023, le Group Croissance et ses partenaires se sont rendus à Jérémie (Grand’Anse) et aux Cayes (Sud) dans le cadre du troisième Sommet régional de la Finance autour du thème : « Financer l’éco2 développement : économie et écologie ». Ce fut l’occasion pour les intervenants d’entretenir les participants sur le potentiel économique de la région frappée de plein fouet ces dernières années par des aléas naturels et sécuritaires.
Quand les banques commerciales du pays ferment leurs portes en fin de la journée après avoir collecté cent gourdes de dépôt, environ deux gourdes quatre-vingts vont dans le département du Sud et seulement cinquante centimes dans celui de la Grand’Anse. C’est ce qu’a fait savoir l’économiste Kesner Pharel, PDG du Group Croissance lors de son intervention à la troisième édition de ce Sommet régional dans le Grand Sud. Une situation qui, selon l’économiste, peut évoluer en considérant les possibilités qu’offre la région. « La péninsule du Sud, avec ses 2,5 millions d’habitants, a un potentiel de plus de 10 milliards de dollars américains », a-t-il estimé, soulignant néanmoins la nécessité de faire autrement la politique, l’économie et le social.
M. Pharel propose de diviser la zone en région pour en faire une zone métropolitaine, à l’instar de celle de Port-au-Prince. Ce qui pourra représenter une force économique. « Si chaque commune veut gérer sa propre richesse, cela va coûter très cher. Il faut connecter les communes à l’intérieur des départements pour donner lieu à des échanges. Donc, à des activités économiques », a argumenté l’économiste, animateur des émissions Investir et Rendez-vous économique sur les ondes de la Radio Télé Métropole et ProFin TV.
Pour le responsable du Group Croissance, les maires du Grand Sud doivent s’unir à travers un conseil global pour pouvoir faire le développement à l’aide des nouvelles énergies et des nouvelles économies. « Le monde avance. La question est de savoir comment nous allons gérer et nous positionner. Il nous faut des données pour les transformer en informations. Les informations deviendront des connaissances qui seront utilisées dans les décisions que nous aurons à prendre. Vue la transition énergétique qui s’est enclenchée à travers le monde, ce serait bon d’avoir une usine de production de batterie dans la Grand’Anse ou dans le Sud », a indiqué M. Pharel.
Des clusters touristiques, de production de crevettes ou encore de production d’œufs sont quelques initiatives qui peuvent être entreprises dans cette région où il y a un fort taux d’extrême pauvreté. Moyennant que, selon Kesner Pharel, les chambres de commerce s’assoient avec les associations professionnelles, les réseaux d’écoles et universités partenaires, les réseaux religieux, les conseils et comités de compétitivité qui évoluent dans les départements. Ce qui pourra les aider à sortir de la politique d’aide au développement.
L’économiste invite les futurs décideurs à s’inscrire dans une démarche de développement durable pour ne pas détruire le milieu ambiant. « Si vous créez de la richesse au détriment de l’environnement, cela pose un problème. L’idée n’est pas de créer de la richesse par tous les moyens. Il faut que cette création de richesses soit faite de manière durable. L’environnement doit être pris en considération », a-t-il recommandé.
À la démarche du développement durable, il faudra ajouter la décentralisation pour éviter de créer beaucoup plus de pauvreté. Si Jérémie, en tant que chef-lieu du département de la Grand’Anse, a souligné Kesner Pharel, accumule tout et ne laisse pas grand-chose pour les communes de Bonbon ou de Pestel, cela donnera une croissance débridée engendrant des conséquences extrêmement négatives. « C’est comme créer une usine de production de pauvreté, d’extrême pauvreté et de misère. Et vous aurez pour résultats : des tensions sociales, des chocs et des crises politiques », a-t-il prédit.
Le budget national de 2023-2024 prévoit d’investir plus de 600 millions de gourdes à travers 28 projets dans le Grand Sud. Pas moins de 13 dans le département du Sud, 8 dans les Nippes et 7 dans la Grand’Anse. Une décision qui s’inscrit dans le cadre des priorités du gouvernement voulant renouer avec la croissance économique tout en assurant la stabilité sociale et l’amélioration des conditions sécuritaires du pays. Objectifs : attirer des investissements et augmenter la production nationale pour une redistribution des ressources naturelles. Kesner Pharel assure que pour y arriver, le secteur des affaires et la société civile devront s’intéresser à des secteurs clés. « Pour améliorer la qualité de vie dans la région, il faudra investir davantage dans la santé, dans l’éducation et créer plus d’emploi pour que les gens puissent vivre dans de meilleures conditions. Donc, s’attaquer aux trois dimensions de la pauvreté », a suggéré l’économiste.
Étant donné que la majorité des communes du Grand Sud côtoient la mer, l’économiste y voit un marché important tant au niveau local ou régional. « Il y a la possibilité de faire d’importants ports dans les départements. Par exemple : un port touristique comme Labadee dans le nord, un port plus ou moins commercial et un port de transhipment ou de transbordement qui pourra faciliter les navires asiatiques fréquentant la région », a expliqué le responsable du Group Croissance.
Selon M. Pharel, l’économie bleue pourra résoudre le problème de transport auquel les départements du Sud, des Nippes et de la Grand’Anse font face. « Il faudra créer des écoles maritimes qui se chargeront de former des professionnels de la mer et profiter de cette ressource. Le transport maritime coûte moins cher que le transport terrestre. La mer peut faciliter le déplacement des personnes et des marchandises d’une commune à une autre dans la région », a-t-il souligné.
Pour sa part, Jocelin Villier, directeur général de l’Autorité portuaire nationale (APN), croit que le Grand Sud ne s’est pas encore rendu compte de ce qu’il peut représenter dans la balance économique du pays. Selon lui, si l’on veut finir avec la République de Port-au-Prince, il suffira de transformer les villes côtières en villes portuaires de manière responsable et profiter de ce secteur portuaire qui est en développement avec un important taux de croissance. « 90 % des échanges s’effectuent dans le monde à travers la mer. Au niveau national, 85 % des recettes douanières sont issues des activités portuaires. Environ 65 % des recettes fiscales proviennent des recettes douanières. Les ports ont un poids important dans l’économie haïtienne », a-t-il rappelé.
Pour le numéro un de l’APN, plusieurs communes comme Aquin (Sud) ou encore Saint-Jean du Sud (Sud) sont bien placées pour être des villes portuaires. Quant à Port-Salut (Sud), Ile-à-Vache (Sud) et Pestel (Grand’Anse), elles pourront être de grandes destinations touristiques. Pour leur part, Anse d’Hainault et Corail, deux communes du département de la Grande-Anse, ont un fort potentiel pour les activités de pêche. Une fois les infrastructures nécessaires érigées, Jocelin Villier pense que les ports maritimes pourront servir de support au développement local et régional intégré. À la seule condition qu’ils ne soient pas seulement de simples lieux de transit et d’échanges servant à la réception et à l’expédition de marchandises. « Il faut les considérer dans le cadre d’une politique de décentralisation et de déconcentration. Ils doivent jouer le rôle de levier de développement économique et de vecteur de croissance. »

Jeff Mackenley Garçon