Les bases établies par la BRH en vue de garantir la stabilité du taux de change

En octobre 2024, lors de la 14e édition du Sommet international de la finance (SIF), la Banque de la République d’Haïti (BRH) a livré une analyse sans fard du secteur externe de l’économie haïtienne à travers le prisme du taux de change, de la balance commerciale, des transferts de fonds sans contrepartie. Mme Carine Malbranche, cadre économiste de la Direction des affaires internationales de la BRH, durant son intervention, a abordé la posture de la Banque centrale par rapport à l’évolution du cadre macroéconomique.
Selon Mme Malbranche, depuis 2023, on a commencé à constater une certaine baisse du taux de change dans l’économie haïtienne. Une tendance qui s’est poursuivie tout au long de l’exercice 2023-2024. Ce qui a entrainé, au 30 septembre 2024, une baisse en rythme annuel de 2,07 %, en se chiffrant à 131,4767 gourdes pour un dollar américain, alors que pour les deux premières semaines de l’exercice 2024-2025, le taux a accusé un léger fléchissement de -0,13 % en date du 11 octobre 2024.
Cette relative stabilité du taux de change, selon l’économiste Carine Malbranche, résulte de la bonne performance des finances publiques. En d’autres termes, l’État haïtien n’a pas vraiment eu recours à du financement monétaire à répétition. Donc, moins de gourdes libérées dans l’économie qui ont causé moins de pression sur le dollar.
La diminution de la demande de devises est une autre raison de la stabilité du taux de change. Selon les explications de Carine Malbranche, le taux de change est un prix (celui de la devise) qui résulte de la confrontation entre l’offre et la demande. Quand la demande est forte, le dollar est fort, et le taux de change s’apprécie. Quand la demande diminue, le taux de change baisse. Il en est de même pour l’offre.
Pour l’exercice fiscal 2023-2024, au niveau du change en Haïti, on a vécu une situation caractérisée par une diminution de la demande de devises et un accroissement de l’offre découlant du recul de l’activité économique résultant de la dégradation du climat sécuritaire délétère et du comportement attentiste des agents économiques face à la situation sociopolitique.
Pour corréler la tendance à la baisse de la demande des devises et l’amélioration de l’offre en 2024, Mᵐᵉ Malbranche a donné un aperçu des données de la balance commerciale pour la période en question. Selon les données, les importations en valeur d’octobre 2023 à juillet 2024 ont totalisé 3,5 milliards de dollars américains, soit une baisse de 8,29 % par rapport à la même période de l’année précédente.
D’un autre côté, les exportations haïtiennes ont aussi subi cette dégradation de la situation sécuritaire, au regard des chiffres relatifs aux exportations en valeurs pour la même période, c’est-à-dire d’octobre 2023 à juillet 2024. Elles s’élèvent à un montant total de 641,63 millions de dollars américains, soit une baisse de 17,95 % en glissement annuel. Comme principales causes de cette baisse des exportations, l’économiste Malbranche a évoqué le ralentissement de la demande aux États-Unis d’Amérique, mais surtout les troubles socio-politiques et la fermeture des entreprises commerciales, du port et de l’aéroport de Port-au-Prince tout au cours de l’année 2024.
Bonne performance au niveau du taux de change.
La performance du taux de change, qui a brillé par sa stabilité au cours de l’exercice 2023-2024, est due à l’augmentation des transferts de fonds sans contrepartie qui représentent l’une des principales composantes de l’offre de devises dans le pays. En effet, les données avancées par l’intervenante de la BRH font état d’un montant total des transferts sans contrepartie bénéficiés par les Haïtiens estimé à 3,32 milliards de dollars américains au cours de l’exercice 2023-2024, soit une hausse de 11,78 % par rapport à l’exercice précédent.
Ainsi, une augmentation des transferts conjuguée à une diminution de la demande des dollars sur le marché explique en grande partie cette performance au niveau du change. Près de 70 % des transferts de fonds vers Haïti proviennent des États-Unis, donc quand l’économie américaine se porte bien, les compatriotes haïtiens résidant aux États-Unis (plus nombreux depuis l’ouverture du Programme Humanitarian Parole) disposent de plus de moyens financiers pour aider leurs parents et proches en Haïti.
D’autre part, depuis environ deux années consécutives, la Federal Reserve (FED), l’équivalent de la banque centrale américaine, est entrée dans une dynamique de baisse des taux d’intérêt. Ce qui a eu à la fois pour conséquence de ralentir le crédit et de booster la consommation aux États-Unis. Le recul de l’inflation aux États-Unis constitue donc l’une des causes de la bonne performance du taux de change en Haïti.
Posture de la Banque centrale
Au cours de l’exercice 2023-2024, la BRH a maintenu inchangée l’orientation de la politique monétaire qui, depuis 2022, a donné lieu à un resserrement des conditions monétaires à travers le relèvement des taux directeurs ; l’augmentation des coefficients de réserves obligatoires sur les passifs libellés en devises et la poursuite des interventions sur le marché des changes. L’objectif visé à travers cette batterie de mesures de la BRH est de contrer la création monétaire qui alimente la demande de devises et de préserver la valeur de la gourde.
Niveau actuel des taux directeurs de la BRH et des autres outils conventionnels de la politique monétaire
La structure des taux d’intérêt sur les bons BRH à maturité de 7, 28 et 91 jours est restée inchangée à 6 %, 8 % et 11,5 %, respectivement. Néanmoins, l’encours de ces titres a significativement augmenté, passant de 3,50 MG en mars 2024 à 22,5 MG au 25 septembre 2024, afin d’éponger la liquidité excédentaire du système bancaire dans un contexte peu favorable aux activités d’intermédiation. Le taux de mise en pension de ces titres est maintenu à 17 % et celui des bons du Trésor à 14 %.
Les coefficients de réserves obligatoires sur les passifs en gourdes et en monnaie étrangère demeurent à leur niveau d’août 2022. Ils s’élèvent à 40 % et 53 % pour les banques commerciales ; à 28,5 % et 41,5 % pour les banques d’épargne et de logement (BEL).
Les interventions de la BRH sur le marché des changes
Abordant ce thème, Mme Malbranche a laissé entendre que, deux ans auparavant, les interventions de la Banque centrale sur le marché des changes consistaient à mettre des dollars frais sur le marché en vue de diminuer la volatilité du taux de change. Cependant, en l’absence de financement de la BRH, l’accalmie sur le marché des changes, la Banque s’est positionnée davantage en acheteuse nette contrairement aux deux années précédentes, ceci sans effets perturbateurs sur le taux de change.
Ces acquisitions nettes permettent de consolider les réserves internationales de la Banque centrale, renforçant ainsi ses marges de manœuvre face à d’éventuels signes de surchauffe.
Les mesures réglementaires
Parallèlement aux mesures conventionnelles du marché des changes, il faut citer des mesures réglementaires de la BRH. Compte tenu de la situation d’instabilité dans laquelle évoluent les entreprises, la BRH, à travers la circulaire 115-5, avait décidé de :
- Prolonger le moratoire sur les prêts éligibles jusqu’au 30 septembre 2024 ;
- Autoriser la restructuration des prêts devenus improductifs au 31 mars 2024, en vue d’accompagner les débiteurs du système financier (entreprises et particuliers) pénalisés par la dégradation de la conjoncture.
Parallèlement, il y a d’autres circulaires qui sont de mise, telles que les circulaires 114 et ses différentes mutations (114-2 et 114-3), qui permettent d’adresser les problèmes de numéraires en dollars et rentrent dans une vision globale pour contrecarrer la désintermédiation financière au niveau du marché des changes.
Il y a aussi la circulaire 118 sur les normes en vigueur à respecter en matière de soumission des rapports relatifs aux opérations de transferts internationaux et de change.
La circulaire 118, mise en vigueur le 1ᵉʳ juin 2021, qui étend certaines mesures administratives aux intermédiaires de changes autres que les banques, notamment celles relatives à la position cambiste nulle.
Gary Cyprien