Éditorial

Les défis de la protection sociale en Haïti

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En Haïti, la situation de la protection sociale laisse beaucoup à désirer. Le système de protection sociale rencontre des difficultés pour répondre aux besoins de la population. Selon l’ECVMAS, en 2012, seulement 11% des personnes extrêmement pauvres ont reçu une aide sociale en 2012.

Une décennie plus tard, la situation de la pauvreté s’est dégradée. À ce titre, les estimations réalisées par l’équipe de la Banque mondiale montrent qu’en 2021, la pauvreté a augmenté à 87,6 % (6,85$/jour), 58,7 % (3,65 $/jour) et 30,32 % en utilisant le seuil de pauvreté extrême (2,15 $/jour).

Ajouter à cela, Haïti fait également partie des pays les plus inégalitaires de la région. Cela est dû en grande partie aux deux tiers des pauvres vivant dans les zones rurales et aux conditions défavorables de la production agricole, créant un écart de bien-être entre les zones urbaines et rurales.

Fort de ce qui précède, les normes internationales du travail établies par l’OIT considérant les systèmes de protection sociale comme un droit fondamental resteront un vœu pieux sans un investissement conséquent pour soutenir une croissance économique durable et capable de jouer un rôle vital de stabilisateurs économiques. Pour l’heure, Haïti est loin d’atteindre ces objectifs avec seulement 3% de la population totale couverte par un régime d’assurance sociale, représentant un écart énorme à combler et un véritable défi pour l’État et pour la nation haïtienne tout entière.

La plupart des Haïtiens ne bénéficient d’aucune forme de protection sociale. Les régimes contributifs existants (l’ONA pour les pensions de retraite, de survivants et d’invalidité et l’OFATMA pour l’assurance accident, maladie et maternité) sont peu efficients et ne couvrent qu’une très faible partie des travailleurs: les pensions versées par l’ONA ainsi que   les   travailleurs   (principalement   à Port-au-Prince) couverts par l’OFATMA représentent moins de 2% de la population active du pays. On estime que seuls 4% des Haïtiens sont couverts par l’assurance maladie. Par ailleurs, les dépenses sociales ont diminué en Haïti entre 2002 et 2011.

Nourrissant, entre autres, l’ambition de faire reculer durablement la pauvreté, le document de Politique nationale de protection et de promotion sociales (PNPPS) définit les grandes orientations de l’État pour la période 2020-2040 en ce qui a trait à la protection et promotion sociales.

Bien que le MAST soit le responsable institutionnel dans ce domaine, les institutions de protection sociale en Haïti sont très fragmentées et sont confrontées à une série de problèmes importants: l’absence d’un plan national, aggravée par l’instabilité institutionnelle et le manque de continuité ; des problèmes pratiques d’identification, de suivi et d’évaluation des groupes vulnérables; des problèmes institutionnels et financiers pour élargir de manière effective l’accès à une protection minimale pour la plus grande partie de la population.

Autant de défis à combler par la Politique nationale de protection et de promotion sociales à l’horizon 2030. Garantir l’accès de tous à la sécurité sociale constitue donc l’une des exigences principales de l’Agenda 2030 pour le développement durable de l’ONU. En 2015, 193 pays, y compris Haïti, se sont mis d’accord sur ce point. De l’avis des experts, un système de sécurité sociale requiert certes des investissements importants, mais ces derniers sont souvent rentables à long terme. Selon une étude de l’Organisation internationale du travail, reposant sur des données provenant d’une centaine de pays, plus de la moitié de la population mondiale n’a pas accès aux soins médicaux de base et seuls 29% bénéficient d’une protection sociale complète.

La protection sociale, selon la Politique Nationale de Protection et de Promotion sociales (PNPPS) d’Haïti, a pour fonctions principales de garantir un revenu suffisant, de fournir un revenu de remplacement face aux pertes liées aux accidents de la vie, de rendre possible l’accès aux services sociaux de base et de créer les conditions du travail décent. Elle comprend quatre volets: l’assistance sociale ; les soins sociaux aux personnes ; l’assurance sociale et la régulation du marché du travail.

A travers le pays, la protection sociale est assurée par le secteur public, le secteur privé, les organisations internationales et les institutions à but non-lucratif. Au niveau du secteur public, c’est le ministère des Affaires Sociales et du Travail (MAST) qui est chargé de définir et d’exécuter la politique sociale et d’assurer, sur le plan technique et administratif, le contrôle et la supervision de toutes les institutions impliquées dans la protection.

Le MAST est aussi impliqué directement dans des services de protection à la population à travers ses organes autonomes qui sont la Caisse d’Assistance Sociale (CAS) ; l’Institut du Bien-Etre Social et de Recherche (IBESR) ; de l’Office d’Assurance Accidents du Travail et Maternité (OFATMA) et de l’Office National d’Assurance Vieillesse (ONA).

Le secteur privé fournit aussi des services de protection sociale à travers ses compagnies d’assurances offrant des polices d’assurances vie – santé et/ou vieillesse, ses fondations et organisations caritatives. La communauté internationale est aussi un pilier dans le système de protection sociale en Haïti à travers ses organisations caritatives ou en finançant les activités de protection dans le secteur public ou privé.

Il est difficile dire avec précision le nombre d’Haïtiens qui est pris en compte par le système de protection sociale, soit à travers l’aide sociale de l’Etat ou les polices d’assurances de vie et/ou santé des compagnies d’assurance du secteur privé. Un fait est certain, la majorité y est exclue dans la mesure où la protection sociale est essentiellement liée à l’emploi formel.

En Haïti le secteur informel comptait pour 93,6% de la population active occupée en 2012, selon les données citées dans la Politique Nationale de Protection et de Promotion sociales. «Le secteur informel regroupe les travailleurs et travailleuses indépendants non enregistrés ainsi que les travailleurs et travailleuses (salariés ou non) qui ne sont pas déclarés aux organes de sécurité sociale», lit-on dans le document. Dans ce cas, la famille est leur seul recours lorsqu’un problème survient.

La faible couverture du système de protection en Haïti est traduite par une pauvreté massive. Selon les données de la Banque Mondiale et l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale [ONPES], en 2012, 60% de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté fixé à 2,41 dollars US par personne et par jour tandis que 20% de la population totale et 38% de la population en milieu rural vivaient sous le seuil de pauvreté extrême (moins de 1,23 dollar US par personne et par jour).

Dans un tel contexte, les catégories les plus vulnérables de la société sont livrées à elles-mêmes. Selon les données disponibles, en 2017, seules 22000 personnes percevaient une pension vieillesse alors que la population âgée de 65 ans et plus était estimée à 529 902.

La Politique Nationale de Protection et de Promotion sociales (PNPPS) adoptée en 2020 par l’Etat haïtien avec le support de ses partenaires étrangers est un pas dans la bonne direction pour changer la donne. Le document dresse un tableau effrayant des couches de la population n’ayant accès à aucun service social. Il reste à prendre les mesures qui s’imposent pour augmenter la couverture de protection sociale à travers le pays.

©UNICEF Haiti/Meddeb

DevHaiti

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