Gouvernance

L’hôpital général à l’image du système de santé

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Dire que l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), communément appelé l’Hôpital général, est en grève ne constitue plus une nouvelle. Cela devient récurrent. Au moins au cours de la dernière décennie, il ne se passait jamais une année sans que le plus grand centre hospitalier du pays n’en connaisse deux à trois. Quand ce n’est pas le personnel de soutien, ce sont les médecins résidents.

 Le plus grand centre hospitalier du pays éprouve des difficultés pour son fonctionnement. Les médecins résidents sont en grève. «C’est une situation catastrophique. L’hôpital est à l’arrêt, donc ne fonctionne plus. C’est un champ de ruines , se désole Dr Jude Milcé, directeur de l’hôpital rappelant que dans leurs luttes, les Haïtiens sont souvent radicaux. «Il n’y a même pas une cellule d’urgence», regrette le responsable. Ce qui est pourtant exigé par la loi en cas de grève.

En ce mois de mars 2023, l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) connaît son troisième mois de grève débuté en décembre 2022. Les médecins résidents (diplômés qui se spécialisent) sont en grève – réclamant de meilleures conditions de travail et une augmentation de salaire. Ils exigent du matériel, de meilleures conditions d’hygiène et sanitaire. «Les revendications sont justes», reconnait Milcé, également vice-doyen aux affaires académiques de la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP), rappelant qu’il y aurait à peine deux services qui fonctionnent actuellement à l’hôpital.

Le salaire d’un médecin résident ne peut même pas faire de provisions alimentaires pour une semaine. Il s’élève à 12 500 gourdes par mois. Un médecin interne (non encore diplômé) toucherait 9 000 gourdes comme allocation. Pire pour les internes.

«Ce n’est pas donné à un rythme régulier», affirme Milcé. Les discussions pâtissent avec les responsables du ministère haïtien de la Santé publique et de la Population. C’est la corde raide des deux côtés.

«La grève se maintient. Il n’y a pas d’avancées en termes de négociations entre le ministère et les grévistes», lance le Dr Mackendy Jacques, médecin interne et ancien résident à l’HUEH, ajoutant que le directeur actuel du ministère de la Santé publique, Dr Lauré Adrien, ne pipe mot pouvant assurer une issue certaine à la crise. «Ce sont les résidents et internes qui font la grève. L’hôpital repose sur le dos de ces médecins», a laissé comprendre le Dr Jacques, rappelant que ce ne sont pas les médecins de service qui sont en grève. Donc, puisque la base n’y est pas, impossible pour eux de prendre service.

«Les résidents, c’est le poumon de l’HUEH en termes de service», affirme-t-il. Pour lui, avec un salaire de 12 500 gourdes, c’est comme si le service offert fait office de sacerdoce dans un pays en proie à une crise socio-économique sans précédent marquée par une inflation, la dévalorisation de la monnaie locale, la crise du carburant, etc. «Ce sont des gens qui se dévouent à rendre services», a dit Dr Jacques qualifiant ce salaire de peau de chagrin. Mauvaises conditions de travail, salaire insuffisant, absence de matériels de travail, mauvaise qualité de soin… constituent, entre autres, les situations auxquelles font face les médecins et personnels et les patients de l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti.

Et, les causes sont profondes …

Dr Jude Milcé plaide pour qu’on fasse de l’HUEH une entreprise sociale afin de pouvoir trouver des moyens pour le faire fonctionner. Pour le professeur de chirurgie à la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP),

« il faut avoir des moyens pour faire fonctionner ces grosses structures », dit-il, rappelant qu’il s’agit de plus de 1 500 employés, des médecins résidents, des médecins internes et des gestionnaires. «Il manque de moyens pour faire fonctionner l’hôpital», conclut-il, ainsi encourage-t-il des réformes en profondeur. «Depuis sa création, l’hôpital n’a pas de modèle économique», rappelle le médecin chirurgien, soulignant que la santé coûte très cher et qu’on doit trouver un moyen afin de savoir comment faire et qui paie quoi et comment. «La santé ne se donne pas. Ça a un coût. L’État ne peut pas tout donner. C’est un problème structurel que conjoncturel», estime-t-il. « Il faut que l’État réfléchisse sur comment financer les hôpitaux publics ».

«Il y a un problème structurel au sein de l’hôpital», insiste et persiste de son côté Dr Mackendy Jacques. Également, il croit qu’il y a un problème dans la perception que la population se fait de l’HUEH. Car les gens croient qu’il s’agit d’un hôpital de charité et de bienfaisance. Donc, quand ils y viennent, ils doivent pouvoir tout trouver gratuitement — médicaments et médecins. «Il y a des services qu’on ne peut pas trouver gratuitement», clarifie-t-il. « l faut qu’il y ait une structuration pour pouvoir trouver assez de fonds afin de pouvoir offrir un service adéquat», croit-il, estimant problématique le fait que le ministère de la Santé publique est l’unique gestionnaire de l’institution.

Ce qui selon lui ne se fait pas ailleurs. «Quand on dit qu’un ministère gère un hôpital, c’est catastrophique. Il faut aborder le problème dans ses racines. Le ministère est incapable de gérer l’hôpital. Un centre hospitalier doit être autonome», poursuit Dr Jacques.

À en croire le Dr Jude Milcé, c’est la gouvernance de l’hôpital qui n’est pas bonne, croyant que celui-ci nécessite des réformes en profondeur. Ainsi, croit-il, que le problème ce ne sont pas les grèves en soi — mais ceux-ci permettent de faire émerger les dysfonctionnements auxquels fait face l’institution. «Le personnel n’est pas satisfait du fonctionnement de l’hôpital. La santé ne constitue pas une priorité dans le pays», regrette Dr Milcé.

«Ces grèves récurrentes représentent des manques à gagner pour la population haïtienne qui n’a d’autres recours », estime Dr Jacques rappelant que des morts et des cas compliqués, on en compte certainement en raison de la grève. «Si vous n’avez pas d’argent – on ne va même pas vous laisser entrer dans un hôpital privé en raison de la grève», rappelle le médecin réitérant le fait que l’hôpital général est un sauveur pour la majorité de la population haïtienne. Car, de nombreuses personnes peuvent avoir accès à des soins de santé, grâce à ce centre hospitalier public. «Les victimes sont nombreuses. Il y a des gens qui ne peuvent pas se rendre ailleurs», souligne Dr Mackendy.

Pour Dr Mackendy, cela crée une forme d’insécurité. Car, le premier réflexe de l’Haïtien quand quelqu’un a un malaise, c’est de l’amener à un hôpital public. Ce qui fait que, pour les gens qui n’ont pas de moyens et les petites bourses, cela constitue une situation compliquée. C’est une assistance sociale que l’État met à la disposition des plus pauvres, rappelle-t-il à propos de l’HUEH. On ne peut faire l’inventaire d’enfants tués et des personnes tuées par des arrêts cardiaques. Cette interruption de l’hôpital fait souffrir les gens, renchérit Dr Jude Milcé, le directeur de l’hôpital.

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