Développement durable

Migration et développement en Haïti : un rapport inabouti, un potentiel inexploré et inexploité…

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En janvier 2013, le Centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a lancé un projet, cofinancé par le Programme thématique des migrations et de l’asile de l’Union européenne, sur les Interactions entre politiques publiques, migrations et développement (IPPMD) dans les pays partenaires : études de cas et recommandations politiques. Ce projet, mené entre 2013 et 2017 dans dix pays à revenu faible et intermédiaire, visait à fournir aux décideurs des éléments en faveur de l’inscription de la migration dans les stratégies de développement, et à favoriser la cohérence de l’ensemble des politiques sectorielles. Une combinaison équilibrée de pays en développement a été sélectionnée pour participer au projet: Arménie, Burkina Faso, Cambodge, Costa Rica, Côte d’Ivoire, Géorgie, Haïti, Maroc, Philippines et République dominicaine.

Haïti est un pays d’émigration nette: une part significative de sa population vit à l’étranger, principalement aux États-Unis et en République dominicaine.

On estime que c’était le cas de 1.2 million d’Haïtiens en 2015, soit plus de 11 % de la population – ce qui en fait le quatrième pays comptant la plus forte proportion d’émigrés parmi les pays sur lesquels porte le projet IPPMD. Les principales destinations d’émigration sont les États-Unis, qui accueillent près de la moitié des émigrés haïtiens, la République dominicaine, le Canada et la France (DAES des Nations Unies, 2015).

Les fonds transférés au pays par les émigrés constituent une source importante de revenus pour de nombreux ménages en Haïti. Ces transferts peuvent améliorer le bien-être des ménages migrants et stimuler le développement économique et social. Le poids total en termes de PIB est élevé comparativement à d’autres pays IPPMD. En 2015, l’aflux de transferts de fonds vers Haïti a atteint 2 196 millions USD, soit 25 % du PIB (Banque mondiale, 2017), tandis que le taux moyen était de 8.1 % pour l’ensemble des pays IPPMD.

Que nous apprend le rapport au sujet des liens entre migrations et développement?

Les conclusions du rapport «OCDE/INURED (2017), Interactions entre politiques publiques, migrations et développement en Haïti, Les voies de développement, Éditions OCDE, Paris» suggèrent que le potentiel de développement offert par les migrations n’est pas pleinement exploité en Haïti. La prise en compte des migrations dans de nombreux domaines peut permettre de tirer avantage de ce potentiel. Le rapport illustre la relation bilatérale entre les migrations et les politiques publiques en analysant comment les migrations influencent les secteurs clés – le marché de l’emploi, l’agriculture, l’éducation, et l’investissement et les services financiers – et comment elles sont dépendantes des politiques mises en œuvre dans ces secteurs.

Les politiques relatives au marché de l’emploi peuvent encourager l’émigration

D’après les constats de l’IPPMD, il semble que les programmes de formation professionnelle incitent les migrants potentiels à chercher du travail à l’étranger. De fait, les personnes ayant pris part à un programme de formation professionnelle ont davantage pour projet d’émigrer (18 %) que les autres (9 %). De plus, l’enquête IPPMD indique qu’il manque en Haïti un outil important que plusieurs pays ont conçu pour améliorer la recherche d’emploi : des agences publiques pour l’emploi qui, en aidant les demandeurs d’emploi et assurant une meilleure adéquation sur le marché de l’emploi au niveau national, rendraient l’émigration moins impérative. Les migrations influent également sur l’offre de main-d’œuvre dans les zones urbaines du pays : parmi les ménages urbains qui reçoivent des transferts de fonds, la proportion de membres ayant un emploi tend à être plus faible que dans les autres ménages, ce qui laisse supposer que les transferts de fonds peuvent réduire la nécessité de travailler.

Les subventions aux activités agricoles semblent amplifier l’émigration, mais ce lien est ténu

Les transferts de fonds des migrants peuvent stimuler le secteur agricole en facilitant notamment l’accès des  ménages  au  crédit  et  en  leur  permettant d’investir dans des activités agricoles. D’après l’enquête IPPMD, les ménages haïtiens qui reçoivent des transferts de fonds sont plus susceptibles d’investir dans des activités agricoles que les autres ménages. Pour autant, les transferts de fonds ne semblent pas influer sur le type d’agriculture pratiquée, ni sur le niveau des investissements. En outre, on constate que les ménages qui bénéficient de subventions agricoles sont plus susceptibles que les autres de compter un membre qui a émigré ou qui envisage d’émigrer, mais il semble que cela dépende davantage du niveau de richesse du ménage que des subventions à proprement parler.

Les transferts monétaires destinés à l’éducation sont associés à une hausse de l’émigration

Les ménages de l’échantillon qui reçoivent des transferts de fonds indiquent utiliser le plus souvent cet argent pour financer l’éducation d’un de leurs membres. Néanmoins, après ajustement de ces données en prenant en compte les caractéristiques propres aux ménages et aux individus qui les composent, une analyse plus approfondie révèle que les enfants et les jeunes qui font partie d’un ménage recevant des transferts de fonds ne sont pas davantage susceptibles d’être scolarisés que les autres. En revanche, il semble que les transferts de fonds stimulent l’investissement dans l’enseignement privé en Haïti, et que les programmes d’éducation entraînent des répercussions sur les décisions ayant trait aux migrations ou aux transferts de fonds. En effet, les ménages qui bénéficient d’un programme d’éducation sont plus susceptibles de compter un membre qui a émigré, ou qui a pour projet d’émigrer. Ces différences semblent tenir, dans une large mesure, aux transferts monétaires destinés à l’éducation: les ménages qui reçoivent des transferts monétaires conditionnels sont plus susceptibles de compter un émigré (13 %) que les autres ménages (4 %).

Un compte bancaire encourage le recours à des canaux formels pour les transferts de fonds

Le projet IPPMD met en évidence un lien très ténu entre migrations et investissements productifs en Haïti. Les ménages avec émigrés sont plus susceptibles que les autres ménages de posséder des biens immobiliers, alors que ni les transferts de fonds ni la migration de retour ne semblent stimuler les investissements dans l’immobilier ou dans une entreprise. La faible corrélation entre migrations et investissements productifs peut être due au manque d’inclusion financière et de connaissances financières. En effet, les programmes de formation destinés à améliorer les connaissances financières des Haïtiens ne concernent qu’une très faible proportion d’Haïtiens: seulement 5 % des ménages de l’échantillon ont participé à ce type de programme. Et moins de la moitié des ménages de l’échantillon (47 %) possèdent un compte bancaire.

Il faut intégrer les migrations dans les stratégies de développement sectorielles et nationales

Les migrations peuvent favoriser le développement économique et social en Haïti, mais leur potentiel n’est pas encore mis à profit. Nombre de responsables de l’élaboration de politiques sectorielles ne tiennent pas toujours suffisamment compte des migrations, et il semble que certaines politiques contribuent de manière non intentionnelle à l’émigration. À l’avenir, il sera donc nécessaire de prendre en considération les migrations dans la formulation, le déploiement, le suivi et l’évaluation des politiques de développement sectorielles. Un cadre d’action plus cohérent au niveau ministériel et aux différents échelons de gouvernement maximiserait les effets bénéfiques des migrations. Il faut pour cela:

•           Créer des institutions, telles que des agences publiques pour l’emploi, afin de faire mieux correspondre l’offre et la demande sur le marché de l’emploi ;

•           Faciliter l’investissement des transferts de fonds dans des activités agricoles productives, en proposant aux ménages une formation qui leur permettra d’améliorer leurs connaissances financières et leur capacité à prendre des décisions d’investissement appropriées ;

•           Veiller à la qualité et à l’accessibilité des établissements d’enseignement publics et privés, de façon à répondre à la demande d’enseignement privé qui augmente sous l’effet des transferts de fonds ;

•           Accroître les connaissances financières et les compétences entrepreneuriales des ménages parmi les populations qui affichent un taux d’émigration élevé, afin d’encourager l’investissement des transferts de fonds.

DevHaiti

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