Éditorial

Pressions migratoires haïtiennes: baromètre de l’instabilité politique et de la mauvaise gouvernance

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La détérioration continue des conditions de vie de la population en Haïti, au cours des dernières décennies, a grandement alimenté un important mouvement migratoire, particulièrement au niveau des jeunes ne pouvant trouver un emploi décent sur le marché local du travail. Une certaine accélération a même été observée durant la dernière décennie avec l’aggravation de la crise sociopolitique. Des milliers d’Haïtiens ont en effet pris le chemin de l’Amérique du Sud, particulièrement vers le Brésil et le Chili, pour échapper à la nette dégradation de la situation socio-économique.

Le départ des Haïtiens vers d’autres cieux n’est pas nouveau dans l’histoire du pays. Au cours du siècle dernier, la main-d’œuvre haïtienne était très recherchée dans la Caraïbe, notamment en République dominicaine et à Cuba pour la coupe de la canne. Les “braceros” haïtiens, comme on les appelait à l’époque, représentaient un facteur vital dans l’industrie sucrière de la région. La dictature duvaliériste donna lieu à une forte migration d’une main-d’œuvre plus qualifiée, au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle, vers des pays africains, le Canada (le Québec en particulier) et les Etats-Unis.

L’occurrence des désastres naturels et la constante instabilité politique ont contribué au maintien d’une faible croissance économique, nettement insuffisante pour répondre à une demande croissante de la population. Avec une croissance démographique moyenne supérieure à celle du produit intérieur brut (PIB), le pays a renforcé sa position de pays le plus pauvre du continent américain. En outre, la mauvaise redistribution de la richesse augmentant l’écart entre les plus riches et les plus pauvres dans la société haïtienne, a fait d’Haïti l’un des pays les plus inéquitables du monde, affichant un coefficient de Gini très élevé.

L’émergence d’un nombre croissant de personnes pauvres (plus de 60% de la population) et extrêmement pauvres (plus de 25% de la population) constitue l’une des principales causes des fortes pressions migratoires observées en Haïti durant les dernières années. La dégradation de la situation sécuritaire avec un accroissement substantiel du nombre d’enlèvements de personnes contre rançons a aussi provoqué, au cours de la dernière décennie, une importante fuite de cerveaux, surtout au niveau de la classe moyenne, vers des cieux plus cléments.

La fuite de cerveaux générée par le mouvement migratoire a eu un impact très négatif sur l’économie nationale, affectant la productivité et la compétitivité du pays. La Banque mondiale estime que plus de 70% des Haïtiens qui détiennent un diplôme de niveau supérieur vivent en dehors du pays. Ceci ne fait que creuser le déficit de capital humain et renforcer le “piège de la pauvreté” dans lequel se trouve le pays. Cependant, il faut reconnaître que la solidarité affichée généralement pas des Haïtiens vivant à l’extérieur du pays envers des membres de leur famille et des amis a permis à l’économie haïtienne de bénéficier de substantiels montants de dollars à partir des transferts de devises sans contrepartie. Ces derniers pourraient atteindre cette année le niveau record de 4 milliards de dollars américains, selon les autorités monétaires locales, ce qui représente près de 50% du PIB d’Haïti.

Le départ massif des Haïtiens vers différents points du continent américain, du Sud au Nord, a créé un sérieux problème géopolitique, à caractère humain, au niveau de l’hémisphère poussant des leaders de différents pays (République Dominicaine, Panama, Costa Rica, Mexique, Colombie, Chili et les Etats-Unis) à réaliser des réflexions stratégiques sur les fortes pressions migratoires venant d’Haïti. Les leaders haïtiens évoluant dans différents secteurs devraient en prendre conscience pour éviter cette mauvaise image au pays mais surtout mettre fin à ce véritable drame humain, touchant des enfants, des femmes et des hommes fuyant leur pays pour cause de mauvaise gouvernance politique, économique et sociale.

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