Économie

Quand l’Etat s’endette pour acheter du pétrole

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Le gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), Jean Baden Dubois, a été reçu le 2 janvier dernier à l’émission Grand Rendez-vous Economique animée par Kesner Pharel sur la Radio Télé Métropole. Le financement de l’achat du pétrole par l’Etat, ses répercussions sur l’économie, les antécédents socio-politiques expliquant l’état actuel de l’économie, ont été parmi les multiples thématiques abordées par le responsable de la Banque des banques.

« 2018 marque un cap dans une série de malheurs que nous connaissons en Haïti. En juillet 2018, il y a eu une tentative d’ajustement des prix des produits pétroliers. Cela a déclenché toute une situation socio-économique difficile pour tout le monde », a rappelé le gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), Jean Baden Dubois. En 2019, des contestations politiques causant notamment des blocages ont débouché sur une croissance négative de -1,5% pour une inflation qui était déjà de 19,7%. En 2020, la crise sanitaire due à la Covid-19 débouchant sur le confinement en Haïti ainsi que dans l’international, a donné lieu à une croissance de -3,3% pour une inflation de 25,2%. En 2021, le climat d’insécurité grandissante, couplé à l’assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet dernier ainsi que le séisme du 14 août dans le grand Sud, nous ont conduits à une croissance négative d’à peu près -1,8%.

«Nous sommes en récession pratiquement depuis deux ans», avance M. Dubois, soutenant que les différents événements socio-politiques sont des éléments qui ont affecté la vie économique du pays au cours de ces trois dernières années.

S’endetter pour acheter du pétrole …

Les autorités s’endettent pour financer le pétrole, a fait savoir Jean Baden Dubois à l’émission de Kesner Pharel. « Cette situation connue l’an dernier, n’est pas sans conséquence sur le cadre macroéconomique. Quand on prend tous ces effets combinés avec les chocs des produits pétroliers qu’on a eu après, il débouche sur des problèmes où l’Etat ne pouvait pas accumuler des recettes. Il y a un problème de pétrole à résoudre. Il se voit obliger d’avoir recours au financement monétaire pour payer le pétrole », a fait savoir M. Dubois, ajoutant que le financement monétaire quel que soit la situation va avoir des impacts  sur  toutes  les  autres  variables macroéconomiques.

 L’incapacité pour l’Etat de collecter des ressources amène à un financement monétaire évalué à 49.2 milliards contre 42.3 milliards préalablement prévus. Ce qui fait que tous les secteurs de l’économie affichent des diminutions qui sont de l’ordre de 4.2% pour le secteur primaire, 2.1% pour le secteur secondaire et 2% pour le secteur tertiaire. Pour le responsable de la banque centrale, la question de l’endettement pour se procurer du pétrole « constitue une réponse qu’il fallait donner à une situation donnée. Ce qui se passe en Haïti, se passe dans tous les autres pays mais de nombreux pays ont ce qu’on appelle “espace fiscal” pour le faire. Mais Haïti n’avait pas d’espace fiscal. Donc, le pays s’est vu obligé d’aller vers un financement monétaire ». C’est dommage, estime-t-il, ce financement monétaire Haïti l’utilise pour payer le pétrole, ajoutant que l’Etat devrait financer beaucoup plus… Ce qui fait que l’Etat, en plus de ses précédentes dettes ait accumulé un stock de dettes relativement important aujourd’hui.

«Le financement bancaire pour l’Etat haïtien au niveau du secteur bancaire vaut à peu près 5.6 milliards de gourdes», dit-il, ajoutant que l’Etat emprunte de l’argent pour pouvoir rembourser avec de l’intérêt. Cela étant, s’il nécessite un peu de marge, il est obligé d’emprunter beaucoup plus. Ce qu’on appelle dans le langage créole – ”Dekouvri Sen Pyè pou kouvri Sen Pòl”. « Quand je dis 5.6 milliards, c’est en aide. Mais en fait quand on regarde en stock, la dette de l’Etat au secteur financier, il est pratiquement de 35.6 milliards de gourdes par ce que cela s’accumule ». Pour l’exercice fiscal 2020-2021, le financement monétaire est estimé à 49.2 milliards de gourdes dont à peu près 30 milliards empruntés pour la question de carburant. Cela voudrait dire que plus de la moitié de l’argent est absorbée par le pétrole.

Quand l’Etat commande du carburant, c’est vrai qu’il y a une partie subventionnée mais aussi, une autre partie que la compagnie pétrolière doit remettre. L’Etat faisait quelque chose de compliqué dans le sens qu’il achète ”cash” le pétrole avec du financement monétaire, ils le donnent aux compagnies pétrolières qui ont jusqu’à 30 jours pour le payer. Très souvent, ces 30 jours arrivent sans qu’elles ne paient, explique M. Dubois. « Si bien qu’aujourd’hui, quand on regarde en termes de dette, l’Etat haïtien doit aux compagnies pétrolières près de 40 millions de dollars et elles en doivent plus de 100 millions à l’Etat. Des dettes réciproques. (…) L’Etat donne des crédits au secteur privé de manière gratuite tandis que lui-même il vous paie pour cela », indique-t-il. Selon le ministre, cette situation n’est pas sans impacts sur l’économie.

Des impacts à plusieurs niveaux …

Le premier niveau, c’est quand le ministère de l’Economie passe la commande du carburant, il a recours au financement monétaire. Ainsi, comme il nécessite des dollars pour le faire, la BRH est obligée de lui en donner. « Les dollars sortent directement de notre réserve », dit-il. Mais, il est compensé plus ou moins – mais pas à 100% – en partie par les 30% que la BRH a sur les transferts sans contreparties. Très souvent, pour ces 30%, il est à remarquer qu’il n’y a pas d’annonce d’intervention faite par la BRH.

« C’est parce que 90% des interventions de la Banque Centrale sont faites pour le secteur pétrolier afin de pouvoir repayer l’Etat haïtien », ajoute Jean Baden Dubois.

C’est comme un cercle vicieux. Le pétrole tombe dans la finance publique qui va dans le monétaire qui en retour va être transféré dans l’inflation et par la suite dans le taux de change. Les explications avancées pour le financement monétaire ne sont pas sans effet. Ce sont des gourdes créées. Et ces gourdes, ce sont le plus souvent pour aller chercher des dollars. Tous les éléments survenus durant l’année, soit depuis 2018, affectent la vie socio-économique. « Donc, vous avez eu un dysfonctionnement du climat des affaires qui allait être un élément dans ce qui va agir sur le taux de change. Et vous avez certainement un déséquilibre des finances publiques. Un déséquilibre qu’il y a au niveau du secteur des finances publiques qui va affecter le marché de change », a fait savoir M. Dubois.

Mais vous avez aussi un déséquilibre entre l’offre et la demande. On combat le dollar avec le dollar. On ne combat pas le dollar avec de la gourde, poursuit-il. Ce qui fait que le déséquilibre entre l’offre et la demande s’est accentué. C’est-à-dire que les importations sont passées aujourd’hui à 5.2 milliards de dollars pour l’année 2020-2021. Donc, les importations ont augmenté et les exportations sont restées les mêmes. Les exportations représentent à peu près 1.1 milliard de dollars.

« Vous avez ce déficit de la balance commerciale qui heureusement est amorti par les transferts sans contreparties qui aussi ont augmenté de 21.2% par rapport à l’année antérieur. Ce qui donne à peu près 4 milliards alors que nos voisins ont atteint 10 milliards de dollars pour l’année ».

Selon M. Dubois, quand on a une situation socio-politique qui se dégrade comme celle d’Haïti, les acteurs économiques préfèrent garder le dollar qu’ils ont et non les gourdes. De plus, ils peuvent à tout moment quitter le pays. « Tout ceci va susciter des impacts sur le taux de change » Rappelant que la banque centrale n’a pas une politique de fixation du taux de change. Ce qui n’existe pas non plus. « Nous le disons toujours au niveau de la banque centrale, ce n’est pas le taux qui est important pour nous – il faut que la dépréciation soit lissée. De façon qu’il ne constitue pas un choc pour les ménages », ajoutant que tous les éléments avancés vont influer automatiquement sur la dépréciation de la gourde.

DevHaiti

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