Développement durable

Quand manger à sa faim devient un luxe en Haïti !

7 minutes lecture

En pleine crise sociopolitique et économique sans précédent, Haïti vit l’enfer de l’insécurité alimentaire qui ne cesse de s’aggraver au fil des années risquant de plonger de plus en plus de gens dans la misère la plus extrême. La misère et la faim se multiplient au même rythme que la quantité de réfugiés.es fuyant leur maison et leur quartier à cause de la sanglante guerre de gangs et de leur poussée irrésistible pour conquérir de nouveaux territoires.

Vivant dans un camp de fortune depuis un an, cette femme raconte son calvaire quotidien dans cet espace logé dans la commune de Delmas 75. 36 ans, Rouseline Cénat Joseph, mère d’un enfant se retrouve sur le site avec son mari, et ils sont obligés de placer leur unique enfant dans un foyer. «Pour se nourrir, c’est véritablement difficile. Quand nous avons de quoi manger, on mange. Sinon, on partage entre nous. Parfois, c’est très difficile. Il est midi, on n’a même pas encore mangé. On ne sait pas si on va pou- voir le faire», raconte-t-elle pointant du doigt les conditions d’existence difficiles dans ce camp abandonné par les autorités.

La grippe, des punaises, de la gratelle, de la rougeole, la fièvre et le rhume terrassent les populations du camp où les gens vivent dans le dénuement le plus total. Plus de 300 personnes végètent dans des conditions inhumaines. Des enfants ne pouvant aller à l’école, des jeunes désœuvrés et des adultes qui n’ont jamais travaillé de toute leur vie. Roseline Cénat profite de l’occasion pour envoyer un message aux autorités leur demandant de voir elles peuvent leur venir en aide. Ce camp est le prototype de champ de misère pullulant dans tout le pays.

«Beaucoup de misère. Il n’y a pas de vie ici. On vit en famille pour pouvoir survivre. La situation est très compliquée. Il nous arrive de passer une journée entière sans rien à se mettre sous la langue», raconte Rouseline Cénat Joseph, soulignant que dans pareille situation, elle passe la journée à prier Dieu. «Même l’eau, il n’est pas facile de pouvoir la trouver», dit-elle.

«Sur le plan de la sécurité alimentaire, la situation est vraiment difficile. Ils sont aux abois. Aucun responsable ne se charge de leur fournir de la nourriture. Ils dorment dans de mauvaises conditions», renchérit Chrispin Jean Ewil, agent de développement dans la commune de Delmas. Il travaille à fournir de l’aide à des dizaines de réfugiés, fuyant la guerre des gangs, qui vivent désormais dans cette église. Au sein de ce camp, la misère est palpable. Aucun réchaud ou espace de cuisine n’est remarqué. Les déplacés sont abandonnés à leur sort. En temps de pluie, comme en plein soleil, leur situation est compliquée les enfonçant dans une précarité extrême.

Ce sont les conditions dans lesquelles vivent depuis des années, plusieurs milliers d’Haïtiens fuyant la fureur des gangs qui sèment la terreur jour et nuit dans différents villes et quartiers du pays pour se réfugier dans des camps de fortune.

Le constat est plus qu’accablant. Des familles réduisent leur ration alimentaire. Par ailleurs, certaines parviennent à se nourrir grâce à l’argent envoyé par la diaspora, qui garde l’économie haïtienne moribonde sous perfusion. Alors que d’autres arrivent à joindre les deux bouts grâce aux petits boulots des rues où prend corps le marché informel. Sans oublier des centaines de gens vivant de la solidarité, comptant sur la bonne volonté des autres pour s’offrir à manger dans un pays où l’esprit des gens est ailleurs, rêvant de meilleures conditions de vie.

«De nos jours en Haïti, il est impossible de manger à sa faim et encore moins manger de manière saine. On ne fait que goutter, se ceindre les ceintures et boire de l’eau. La situation est difficile pour nous. C’est une situation de misère. Les gens ont faim. On ne voit pas comment ces gens vont faire pour sortir dans la situation dans laquelle elle se retrouve», continue Ewil.

La faim en Haïti n’est pas née de la dernière pluie. Si dans les années 60 le pays était autosuffisant, la situation s’est dégénérée au fil des crises qui se sont succédé dans le pays depuis au moins quatre décennies. La faim est tellement pesante ces dernières années, des denrées servant dans le passé à nourrir les animaux — sont désormais consommés par les gens. Au fil des ans, pouvoir manger à sa faim devient un luxe dans un pays dit essentiellement agricole, avec des autorités qui peinent à faire de l’agriculture une priorité.

«La situation n’est pas reluisante parce qu’il y a des situations qui concourent à ce que 4,9 millions d’Haïtiens vivent en situation d’insécurité alimentaire», reconnait Harmel Cazeau, responsable de la Coordination de la Sécurité alimentaire (CNSA) — entité étatique qui suit la question d’insécurité alimentaire en Haïti.

DES CAUSES NON NÉGLIGEABLES

Les causes sont multiples et nombreuses. Elles sont à la fois profondes et occasionnelles. « Nous avons une situation conjoncturelle couplée à un problème structurel. Il y a des investissements nécessaires qui ne sont pas faits. Nous avons un problème de gouvernance », a fait remarquer M. Cazeau.

La situation d’inflation avoisinant les 50 % faisant du coup doubler, voire tripler, les prix des produits de base sur le marché local. À travers les rues, où le prix de la nourriture est souvent abordable, il faut entre 300 et 500 gourdes pour se procurer un plat chaud. Au marché, les prix des produits alimentaires flambent. Depuis 2018, le pays vit une impasse sans précédent. La crise sociopolitique et économique n’a cessé de s’aggraver alors que l’insécurité s’est accrue de manière exponentielle avec la multiplication des cas de kidnapping, des attaques armées, des vols et des viols faisant fuir des milliers d’Haïtiens.

«En raison des problèmes liés à la violence et à l’insécurité, il est impossible pour les gens et les marchandises de pouvoir circuler librement», reconnaît Cazeau. Le pays fait face à une résurgence de l’épidémie du choléra qui déjà fait plus de 400 morts, une pénurie persistante de carburant faisant doubler le prix de l’essence sur le marché local. Mais aussi, depuis quelques mois, Haïti fait face à une pénurie de dollars américains.

Ces derniers mois, Haïti fait face à une situation de sécheresse inédite. Dans diverses zones du pays, les populations se plaignent de la situation de misère que crée cette sécheresse. Des chocs naturels non négligeables sur la situation du pays. En raison de la sécheresse, dans des régions comme la Grand’Anse, considérée comme grenier du pays, les gens autant que les animaux, crèvent de faim. «En raison de la sécheresse frappant le pays depuis l’an dernier, l’agriculture n’est pas performante. N’ayant pas assez de moyens, les agriculteurs sont décapitalisés. Il y a un manque d’investissement dans le secteur agricole», souligne Cazeau du CNSA.

Selon Harmel Cazeau, pour mettre fin à cette situation, des mesures urgentes, voire profondes, sont nécessaires dans le court, moyen et long terme. Pour lui, les programmes d’aide de plusieurs milliards de gourdes aux plus vulnérables en cours d’implémentation actuellement par le gouvernement – ont leur importance, mais sont incapables de venir à bout des choses. «Nous avons besoin de programmes beaucoup plus réfléchis tenant compte du moyen et du long terme», estime le responsable soulignant que son institution suit de près la situation, analyse et fait des recommandations aux autorités pour améliorer la situation qui risque de s’aggraver si rien de profond n’est fait.

DevHaiti