Sous-financement budgétaire : la maladie chronique du système de santé haïtien
Globalement, l’analyse des Comptes nationaux de santé (CNS) révèle que le financement du système de santé haïtien repose majoritairement sur les citoyens et l’International. La couverture universelle en santé prônée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et embrassée par le ministère de la Santé publique et la de population (MSPP) dans sa Politique de Santé ne sera pas effective tant que cette tendance n’aura pas été inversée. En effet, dans les pays où cette recommandation est appliquée pas moins de 15% du budget national est alloué à la santé. Or, en Haïti, le pourcentage du budget national affecté à la santé, après avoir connu des valeurs de 5 et de 5.5% en 2013-2014 et en 2015-2016, est passé à 4.4% en 2016-2017 et à 3.9% en 2017-2018 et 2018-2019.
Le secteur de la santé représente un des trois piliers du capital humain. Conscient du rôle crucial de ce secteur dans le développement d’un pays, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande aux pays à faible revenu de consacrer un seuil de 15% des ressources provenant de leur budget national à leur système de santé. Or, au cours de ces 10 dernières, l’État haïtien a alloué moins de 5% du budget à la santé, soit 3 fois moins du seuil recommandé par l’OMS.
À titre d’illustration, le ratio dépenses d’investissement en santé par tête d’habitant en Haïti est passé d’environ quatre dollars américains en 2016 à moins d’un dollar en 2018.
En outre, Haïti s’est vu classer en 34e position sur la liste des 34 pays de l’Amérique qui dépensent le moins en santé, selon le rapport quinquennal (2013-2017) de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) intitulé «Santé dans les Amériques 2017», pour avoir investi moins de 2% de son produit intérieur brut (PIB) en soins de santé au cours de ces cinq dernières années.
On pourrait ainsi multiplier les exemples et les statistiques à l’infini, un fait reste et demeure immuable: Haïti ne dépense pas suffisamment dans la santé et, depuis des années, ce secteur est traité en grand parent pauvre de la République.
Si au moment de la publication de ce rapport en 2017, Haïti avait consacré 4,3% de son budget à la santé, les dépenses en santé provenant du budget national dans les années qui ont suivi n’ont pas cessé de décroître, avec 4,10% alloué en 2020-2021, 4,20% en 2021-2022 et enfin 3,90% en 2022-2023.
Avec ces faibles niveaux de dépenses consacrés à la santé, il sera de plus en plus difficile de mettre Haïti sur les rails du développement.
Les dépenses d’investissement de l’État haïtien dans la santé ont eu du mal à suivre un rythme constant, linéaire. D’un pic de 9,48 milliards de gourdes durant l’exercice 2012-2013, elles ont fini par chuter considérablement à 606 millions de gourdes dans le budget rectificatif de l’exercice 2017-2018.
Pire encore, nous avons tous en mémoire le tollé provoqué cinq ans plus tôt par la décision à l’époque des décideurs d’allouer, dans le budget 2017-2018, au ministère de la Santé publique et de la Population 6.1 milliards de gourdes pour plus de 12 millions d’Haïtiens et 7.2 milliards de gourdes au Sénat et à la Chambre des députés, soit un total ne dépassant pas 150 élus.
Que dire des médecins haïtiens ? Ces derniers n’ont eu en leur possession suffisamment de moyens pour résoudre les problèmes de santé du pays.
Selon l’économiste Énomy Germain, dans une de ses capsules vidéo sur la santé, un médecin généraliste en Haïti en 2022 recevait un salaire mensuel brut de 50 750 gourdes, soit environ 340 dollars américains par mois, alors qu’un médecin spécialiste percevait à peine 370 dollars américains. Dans de telles conditions, rien d’étonnant à ce que le secteur soit devenu non attractif pour ces professionnels dont 40% d’entre eux formés en Haïti, au prix d’énormes sacrifices, se sont vu obligés d’aller exercer à l’étranger, aux États-Unis d’Amérique particulièrement.
Entre investissements insuffisants et gouvernance inefficace dans ce secteur, le cycle de pauvreté se perpétue. À ce rythme, sans vouloir être pessimiste, les chances sont minces pour qu’Haïti atteigne avant l’échéance 2030 le 3e Objectif de développement durable consacré à la santé.
Un pas dans la bonne direction serait sans doute que nos dirigeants commencent à considérer le budget de la santé non pas comme une dépense, mais comme un investissement à retour sûr et substantiel sur le développement humain et sur l’économie.
À n’en pas douter, un lien étroit existe entre le niveau des infrastructures sanitaires d’un pays et la productivité du travail ainsi que l’espérance de vie de la population.
Selon une évaluation du ministère de la Santé publique et de la population, (MSPP) en 2018, il existait dans tout le pays seulement 1048 institutions de santé pour 11 millions d’habitants. S’agissant du personnel de santé, l’OMS recommande 23 médecins pour 10 000 habitants. Selon les dernières statistiques non mises à jour par le MSPP, il existe environ 6.5 médecins pour 10 000 habitants.
«Haïti est en situation de désert médical», sentencie l’économiste Germain.
En Amérique latine et dans les Caraïbes, l’état supporte à 50% les dépenses de santé des ménages tandis qu’en Haïti, c’est à moins de 10% que l’état intervient, selon les Comptes nationaux de santé dont il est largement question dans ce numéro.
Convaincu mordicus qu’il ne saurait y avoir de développement sans la santé, l’économiste a fait les 3 recommandations aux autorités : allouer plus de ressources au système de santé, mettre en place un véritable encadrement des professionnels de la santé et enfin s’assurer d’une efficacité en tout temps dans les dépenses publiques.
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