Économie

Tarif douanier en Haïti : entre héritage historique et défis contemporains d’un système à réinventer

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Les premières dispositions régissant le commerce extérieur d’Haïti ont été prises sous l’empire dirigé par Jean-Jacques DESSALINES le 4 mai 1804 par le sous-général de division André VERNET, ministre des Finances et conseiller d’État. La loi sur les douanes de la République et les tarifs y annexes fut promulguée en 1805.

Les droits de douane, mis en place sous l’administration de Dessalines, tendaient à la protection de la production nationale et représentaient une source de revenus pour financer les dépenses de l’État et notamment la reconstruction du pays après les ravages de la guerre de l’indépendance.

Jusqu’en 1825, le tarif douanier protégeait la production nationale, mais dans l’accord signé avec la France pour la reconnaissance de l’indépendance sous le gouvernement de Jean-Pierre BOYER, on accordait une préférence à l’importation des produits français. Les produits français étaient assujettis au tiers des droits de douane que payaient les autres pays, cela encourageait donc l’importation des produits français et décourageait la production nationale.

Le 4 septembre 1905, le gouvernement de Nord ALEXIS publia la loi sur les douanes, assortie du tarif douanier. Ce tarif contenait toujours les préférences accordées à la France.

Au lendemain du débarquement des marines en 1915, l’une des premières décisions de l’occupant américain consista à prendre le contrôle de la douane haïtienne.

Le 27 octobre 1961, sous le gouvernement de François DUVALIER, un arrêté réglementant les conditions et le mode de fonctionnement de l’Administration générale des douanes a été publié, et le 28 aout 1962, le gouvernement publia un nouveau code douanier, visant à assurer la pleine exécution des lois douanières et un tarif douanier.

Mis à part les préférences tarifaires accordées à la France, jusqu’en 1986, le tarif douanier haïtien était axé sur la production nationale et, durant tout ce temps, le contingentement était d’application : des produits comme le riz, le maïs, le haricot, le lait, etc. étaient contingentés.

À partir de 1987, la production nationale a été mise au rencart au profit de l’importation des produits étrangers. Le gouvernement d’alors, au lieu de faire la promotion de la production nationale, encourageait celle des producteurs des pays étrangers. Ainsi, le 13 juillet 1987, le Conseil national de gouvernement ayant à sa tête le lieutenant général des Forces armées d’Haïti Henri NANPHY révisa le code et le tarif douanier de 1962 et publia un nouveau code et un nouveau tarif douanier.

Dans le Tarif douanier de 1962, les droits de douane étaient de zéro à 200 %; dans celui de 1987, les droits de douane étaient de zéro à 50%.

Pendant la période 1987-1995, beaucoup de travailleurs agricoles et de producteurs de produits agro-industriels ont fait faillite parce que non seulement l’État ne les protégeait pas, mais les pays étrangers pratiquaient le dumping contre Haïti.

En 1995, le président Aristide a pris un décret qui continuait à détruire nos barrières tarifaires. Dans le Moniteur no 20 du 9 mars 1995, on peut lire ceci :

Article 1er : l’Administration Générale des Douanes, pendant une période transitoire, appliquera sauf les produits mentionnés à l’article 2 de la présente loi, un taux équivalant à :

  • Zéro pour cent (o%) pour tous les produits taxés actuellement de 0 à 10%.
  • Cinq pour cent (5%) pour les produits taxés actuellement à 15% et 20 %.
  • Dix pour cent (10%) pour les produits taxés actuellement à 25% et 30 %.
  • Quinze pour cent (15%) pour les produits taxés actuellement de 35% à 50%.

Article 2 : Pour les positions tarifaires suivantes, les taux ci-après seront appliqués :

Position tarifaire libellé taux
070499  Autres légumes 3%
10.6 Riz 3%
110199 autres farines   0%
1102      farine 0%
110211  gruaux, semoules de céréales autres que froment 0%
110299  autres   farines de céréales 0%
1507 huiles comestibles          0%
1701 sucre de canne 0%
200701  jus de fruit 5%
200703 jus de légume autre que tomate 0%
2523 Ciment 3%

(Voir le moniteur pour le reste de cette loi ultra libérale)

« L’application de cette loi a enterré notre production de viande, de fruits, de légumes, de céréales, de lait, de pâte de tomate, de pâte alimentaire, de farine, de sucre, d’huile, de savon, de bougie, etc. » (livre : l’évangile total à l’homme total, page 122)

Sous la pression des pays de l’occident en 1995, Haïti a [1]consolidé plus de la moitié de son tarif appliqué à l’OMC, détruisant ainsi toute velléité de production nationale. Alors que les taux du tarif consolidé de certains pays varient entre 0 et 500%, Haïti a consolidé une partie de son tarif appliqué dont les taux varient entre 0 et 50%.

À titre d’exemple, voici le tarif appliqué du Canada pour certaines lignes tarifaires du chapitre 4 qui traite du lait, du fromage et des œufs :

Positions tarifaires Libellés Droits de Douane
0401.10.20 00 Lait D’une teneur en poids de matières grasses n’excédant pas 1 % au-dessus de l’engagement d’accès 241 % mais pas moins de 34,50 $/hl  
0401.40 20 00 Lait et crème de lait, non concentrés ni additionnés de sucre ou d’autres édulcorants. – D’une teneur en poids de matières grasses excédant 6 % mais n’excédant pas 10 % – Au-dessus de l’engagement d’accès 292.5 % mais pas moins de 2.48 $/kg
0402.21.12 Lait et crème de lait, concentrés, en poudre, en granulés ou sous d’autres formes solides, d’une teneur en poids de matières grasses excédant 1,5 % , Sans addition de sucre ou d’autres édulcorants – Lait : – Au-dessus de l’engagement d’accès 243 % mais pas moins de 2.82 $/kg
0406.30.20 Fromages et caillebotte. – Fromages fondus, autres que râpés ou en poudre – Au-dessus de l’engagement d’accès 245.5 % mais pas moins de 4.34 $/kg
0406.90.94 Fromages et caillebotte. – Autres fromages – Autres : – Parmesan et du type Parmesan, au-dessus de l’engagement d’accès 245.5 % mais pas moins de 5.08 $/kg
0407.21.20 Œufs d’oiseaux, en coquilles, frais, conservés ou cuits. – Autres œufs frais : – De volailles de l’espèce Gallus domesticus – Au-dessus de l’engagement d’accès 163.5%, mais pas moins de 79.9 c/douz

Tarif de la Suisse pour certains produits laitiers et des œufs :

Positions tarifaires Libellés Droits de Douane
04015010 Lait, d’une teneur en poids de matières grasses excédant  10 % 765,00 Fr/100 kg brut
04015020 Crème de lait, d’une teneur en poids de matières grasses excédant  10 % 1408.00 Fr/100 kg brut
04022119 Lait en poudre, d’une teneur en poids de matières grasses excédant 1,5 % 656 ,00 Fr/ 100 kg brut
04022120 Lait en poudre, d’une teneur en poids de matières grasses excédant 1,5 % 1346 ,00 Fr/ 100 kg brut
04063090 Fromages fondus, autres que râpés ou en poudre 442 ,00 Fr/100 kg brut
04069051 Fromages à pâte demi-dure 383 , 00 Fr/ 100 kg brut
04072190 Œufs de volailles de l’espèce Gallus domesticus 371,00 Fr/100 kg brut

Tarif d’Haïti pour les produits mentionnés ci-dessus :

Positions tarifaires Libellés Droits de Douane
040110 00 Lait D’une teneur en poids de matières grasses n’excédant pas 1 % 3.5%
040140 00 Lait et crème de lait, non concentrés ni additionnés de sucre ou d’autres édulcorants. – D’une teneur en poids de matières grasses excédant 6 % mais n’excédant pas 10 % 3.5%
040221 00 Lait et crème de lait, concentrés, en poudre, en granulés ou sous d’autres formes solides, d’une teneur en poids de matières grasses excédant 1,5 % ,  sans addition de sucre ou d’autres édulcorants 3.5%
040630 00 Fromages fondus, autre que râpés ou en poudre 5%
040690 00 Autres fromages 5%
040721 00 Œufs frais de volailles de l’espèce Gallus domesticus 10%

« Les mesures dites libérales appliquées de 1986 à 1995 ont ruiné les producteurs nationaux et réduit la population à la misère la plus abjecte. » (Livre : l’évangile total à l’homme total, page 122)

Il faut dire qu’en Haïti les produits listés ci-dessus, hormis les fromages, étaient exonérés de droits de douane jusqu’en 2009.

Tandis que les membres de l’OMC n’arrivent pas à trouver un accord sur la libéralisation et les subventions des produits agricoles, Haïti a libéralisé la totalité de sa production agricole et agroindustrielle en 1995.

Aujourd’hui encore, les puissants du monde protègent les producteurs de leurs pays via leur tarif douanier et la subvention ; ils utilisent même des mesures déloyales telles que le dumping pour ouvrir des marchés à leurs produits. Mais, en Haïti, de 1987 à nos jours, les barrières tarifaires ont été détruites et il n’y a plus de subvention pour les agriculteurs.

Pour faire face aux changements qui se sont opérés au fil des ans dans l’économie nationale et pour compenser la diminution de l’aide internationale, le pays s’est vu obligé de manquer à ses engagements à l’OMC en relevant, à partir de 2009, le niveau d’un millier de taux appliqués sans une modification préalable des taux consolidés.

Pour corriger ce problème, le BACOZ a proposé au gouvernement la renégociation du tarif consolidé d’Haïti à l’OMC en 2012. Cette proposition a été acceptée et un projet de révision de la liste des concessions tarifaires d’Haïti à l’OMC a été préparé par une commission interministérielle. Ce projet de liste a été partagé le 3 février 2017 avec les pays membres de l’OMC pour réaction par le biais du secrétariat de cette organisation, conformément à ses prescriptions juridiques.

À compter de cette date, un délai de 90 jours expirant le 3 mai 2017 a été imparti pour que le projet de modification puisse être considéré comme adopté, s’il ne fait pas l’objet de contestation formelle par au moins un membre. Avant l’épuisement du délai des 90 jours, soit le 24 avril 2017, la mission permanente de la République dominicaine à Genève a notifié à celle d’Haïti sa déclaration d’intérêt de négocier et d’entreprendre des consultations concernant la renégociation portant sur le projet de révision de la liste de concessions d’Haïti à l’OMC. À cette note, trois (3) types de listes sont annexées, dans lesquelles la République dominicaine réclame, dans la première, son droit de négociateur comme principal fournisseur ; dans la deuxième, son droit de négociateur comme ayant un intérêt substantiel ; et dans la troisième, un ajout de 258 lignes tarifaires pour lesquelles elle continue d’analyser afin de voir si elle possède un droit de négociateur comme principal fournisseur.

Pour finir, la République dominicaine a sollicité d’Haïti les compensations que celle-ci compte offrir par rapport à l’augmentation de ses taux consolidés.

Le 5 mai 2017, la mission permanente de la République dominicaine à Genève a soumis un questionnaire au gouvernement haïtien sollicitant des informations supplémentaires sur la démarche haïtienne et la méthodologie appliquée pour relever les taux consolidés.

Plusieurs rounds de négociations ont été organisés avec la République dominicaine de 2017 à 2018. Depuis lors, rien ne bouge.

Haïti doit reprendre les négociations avec la République dominicaine pour finaliser sa nouvelle liste tarifaire à l’OMC.

Pour encourager la production nationale, Haïti devrait modifier son tarif douanier dans le but d’exonérer les droits de douane sur les matières premières, les machines, appareils et engins utilisés dans la production. Dans cette modification, les produits agricoles importés ainsi que les autres produits et ouvrages importés qui sont fabriqués en Haïti devraient être fortement taxés.

De 2014 à 2018, deux projets de modifications axés sur la production nationale préparés par la Secrétairerie d’État à la réforme fiscale sont restés dans les tiroirs.

La chose primordiale à faire est la mise en place d’un tarif douanier axé sur la production ; l’utilisation à bon escient de nos sources, rivières et fleuves ; la mise à disposition de l’énergie électrique, de routes appropriées et d’un bon système judiciaire.

De 1805 à 1825, nos pères mettaient des barrières tarifaires pour protéger la production nationale ; aujourd’hui, je pense qu’on devrait suivre la route tracée par nos aïeux. De même que la Suisse protège son Camembert, le Canada son lait, l’Allemagne sa Mercedes et son Volkswagen, Haïti doit protéger son riz, son haricot, ses pâtes alimentaires, ses corn flakes, et j’en passe.

Ronald BEAUFILS

Expert en Nomenclature du Système Harmonisé

DGA/AGD


[1] Les listes de concessions dans le cadre de l’OMC, souvent appelées “listes concernant les marchandises” sont des instruments juridiques qui décrivent le traitement qu’un Membre de l’OMC doit accorder au commerce des marchandises des autres Membres.