Transferts de fonds et résilience : tracer la voie d’une croissance durable dans les Caraïbes
Les transferts sans contrepartie jouent un rôle crucial dans le financement de la croissance et le développement des pays de la Caraïbe. Ces flux de fonds, souvent issus de la diaspora et des travailleurs expatriés, représentent une source vitale de revenus pour de nombreuses familles et communautés. En effet, ces transferts soutiennent directement la consommation, l’éducation et l’accès aux soins de santé, contribuant ainsi à atténuer la pauvreté et à stimuler l’activité économique locale. Cependant, malgré leur importance, ils peuvent également présenter des défis en termes de dépendance économique et de développement durable à long terme. Les gouvernements au niveau de la sous-région doivent non seulement promouvoir l’entrée des transferts mais les utiliser dans le processus à long terme d’accumulation et de bien-être afin de rattraper les pays développés.
Les émigrants des Caraïbes se distinguent par leur niveau d’éducation élevé, près de la moitié d’entre eux étant titulaires d’un diplôme universitaire au moins, comparable à celui des Américains nés dans le pays (FMI, 2017). En revanche, seul un quart des émigrants originaires d’autres pays d’Amérique latine et des Caraïbes (ALC) atteignent un niveau d’éducation similaire. Cet avantage en matière d’éducation se reflète dans le choix de leurs professions, qui privilégient l’administration de bureau, la vente, la gestion et les soins de santé. En revanche, les immigrés du Mexique et des pays de l’Amérique centrale, Panama et République dominicaine (CAPDR, en anglais) occupent souvent des postes moins qualifiés. Fait remarquable, les émigrants des Caraïbes gagnent environ 60 % de plus par heure que leurs homologues du Mexique et du CAPDR, ce qui souligne l’impact de l’éducation sur les résultats économiques.
Les émigrants des Caraïbes maintiennent des liens étroits avec leur pays d’origine, transférant des sommes considérables, atteignant jusqu’à 6,7 % de la production régionale en 2015. En comparaison avec d’autres régions, les flux d’envois de fonds vers les Caraïbes représentent une part significative du PIB. Par exemple, en Haïti, ces envois de fonds atteignent 24 % du produit intérieur brut en 2020, tandis qu’en Jamaïque, ils se chiffrent à 22,2 % (CEPAL, 2021). Cette importance contrastée est soulignée par les taux plus faibles dans la CAPDR, où le taux moyen de transferts sans contrepartie est de 7,7%.
Compte tenu des niveaux importants d’émigration et de transferts de fonds dans les Caraïbes, une question critique se pose: l’effet net est-il bénéfique pour le pays d’origine? L’émigration et les transferts de fonds ont théoriquement des effets opposés sur la croissance. L’émigration peut potentiellement entraver la croissance en diminuant la main-d’œuvre et le capital humain, en particulier dans les Caraïbes, où les taux d’émigration sont élevés. Les envois de fonds pourraient exacerber ce déclin en incitant les bénéficiaires à moins dépendre des revenus du travail, ce qui augmenterait les salaires de réserve. Inversement, les transferts de fonds pourraient favoriser la croissance en fournissant des ressources financières pour l’investissement et l’éducation. Ce double dynamique souligne la complexité de l’évaluation de l’impact global de l’émigration et des transferts de fonds sur les économies des Caraïbes.
L’analyse empirique révèle les résultats nuancés découlant de l’interaction entre l’émigration et les envois de fonds, particulièrement évidents dans la région des Caraïbes au cours de la période 2003-2013. Alors que les études soulignent l’impact conjoint cumulatif potentiel sur la croissance, l’effet global semble pencher en faveur d’une influence négative, particulièrement prononcée dans les Caraïbes en raison de l’importante fuite des cerveaux. Malgré cela, les transferts de fonds ont des effets positifs sur la croissance, bien qu’ils ne soient pas toujours statistiquement significatifs, les impacts les plus importants étant observés dans les régions où les transferts de fonds sont élevés, comme les Caraïbes et les pays de la CAPDR.
Cependant, la région peut avoir subi une perte significative de la croissance cumulée du PIB, estimée à 10 pour cent, attribuée à cet impact négatif combiné. Cela souligne la complexité de la relation entre la migration, les transferts de fonds et le développement économique, ainsi que la difficulté d’isoler leurs effets individuels en raison de leur corrélation inhérente. Par conséquent, si les envois de fonds constituent une source de soutien financier, leur capacité à agir comme un moteur durable de croissance pour les Caraïbes reste incertaine, en particulier à la lumière de l’impact négatif significatif de l’émigration et de la fuite des cerveaux sur les perspectives économiques de la région.
Des études récentes indiquent que, malgré leur impact négatif sur la croissance, l’émigration et les transferts de fonds pourraient encore servir de stabilisateurs macroéconomiques vitaux pour les pays des Caraïbes. Les données empiriques mettent en évidence le rôle des envois de fonds dans le lissage de la consommation et le renforcement des recettes fiscales, avec peu de preuves d’effets négatifs de “syndrome hollandais”. Dans les régions sujettes aux catastrophes comme les Caraïbes, les envois de fonds sont particulièrement réactifs aux chocs économiques, ce qui permet d’en atténuer l’impact. Par exemple, la part des envois de fonds dans le PIB augmente à la suite de catastrophes naturelles, une tendance accentuée par la vulnérabilité accrue des Caraïbes. L’analyse des événements révèle une augmentation significative du ratio transferts de fonds/PIB, qui passe de 4,4 % l’année précédant la catastrophe à 5,4 % l’année de la catastrophe.
En conclusion, si les transferts de fonds et l’émigration posent des problèmes pour la croissance des Caraïbes, notamment en raison de la perte de main-d’œuvre et de capital humain, le fait d’accepter les émigrants comme un “coût irrécupérable” permet aux transferts de fonds de jouer un rôle vital dans le financement et la stabilisation de la région. En tant que principal flux extérieur, les transferts de fonds soutiennent le lissage de la consommation et les recettes fiscales sans qu’il y ait de preuves significatives d’effets néfastes sur la compétitivité. Malgré leur complexité, l’exploitation efficace des flux de transferts de fonds pourrait permettre d’atténuer les effets négatifs de l’émigration et de favoriser un développement économique durable dans les Caraïbes.
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